Entretien avec… Adrien Trocmé de RNW Media

Entretien avec… Adrien Trocmé de l’ONG RNW Media 

Entretien réalisé par Candice Carron  

 

Bonjour à tous ! Le 23 mars dernier, lors de la Semaine de la Francophonie 2018, l’équipe Habari République Démocratique du Congo (RDC) de l’ONG RNW Media s’est vue décerner le premier prix de la troisième édition du prix francophone de l’innovation dans les médias par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIA). RNW Media est une organisation internationale basée aux Pays-Bas qui aspire à libérer la parole des jeunes dans des pays en difficulté ou répressifs. Ayant pour valeurs fondamentales la jeunesse, la liberté d’expression et le changement social, RNW Média est un acteur précieux pour la communauté internationale. Nous avons rencontré Monsieur Adrien Trocmé, responsable du pôle Afrique et Français établi aux Pays-Bas. Il a accepté de nous parler de son travail…

C.C: Bonjour Monsieur Trocmé. Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation. Pour commencer pouvez-vous nous expliquer la raison d’être de RNW Media et ses principales missions ?  

A.T : RNW Media est une ONG qui a pour objectif de faciliter l’expression des jeunes dans des pays où la liberté d’expression est empêchée ou peut mener à une situation dangereuse. Nous nous sommes spécialisés dans le digital notamment dans le blogging et les réseaux sociaux. Nous avons deux programmes principaux : le programme « Voix citoyennes » (“Citizen Voices“) qui a pour but de renforcer la cohésion sociale et influencer les décideurs, et le programme « L’amour compte» (“Love Matters”) qui fournit des informations sur la sexualité à des jeunes issus de pays où cette question reste taboue.  

C.C: Le 23 mars dernier votre équipe Habari RDC a remporté le premier prix de la troisième édition du prix francophone de l’innovation dans les médias décerné par l’OIF. En quoi le travail de l’équipe Habari RDC est-il innovant ? 

A.T : Le travail de Habari RDC, c’est d’abord une plateforme regroupant une centaine de blogueurs regroupés sur cinq provinces et huit villes. Ils ont raconté plus de mille histoires depuis leur naissance en 2016. L’innovation de Habari est de mettre en contact des jeunes qui ne se connaissent pas afin qu’ils échangent leurs histoires et leurs expériences personnelles. C’est une plateforme inclusive. En couvrant tout le territoire, l’objectif est de faire se rencontrer les jeunes et de briser les stéréotypes. La seconde innovation est que sur la plateforme chaque blogueur peut exprimer son opinion personnelle mais en l’accompagnant de faits, d’arguments, de données. Ainsi notre contenu offre un large panel d’opinions politiques ce qui permet au lecteur de se faire son propre avis et au final pour la plateforme de rester neutre et crédible. Enfin un élément important et novateur de notre travail est le développement du concept de modération mis en place sur les réseaux sociaux. Le but de la plateforme est d’éviter les réactions haineuses. Nous poussons les jeunes à réagir et à accepter la contradiction et les différences. C’est un espace d’échange et de démocratie basé sur la modération et la contradiction dans le respect qui peut émerger. Voilà ce que tente de réaliser Habari.

C.C: Le travail de Habari RDC remplace-t-il les médias traditionnels ? 

A.T: Non, notre travail n’a pas vocation à remplacer les médias traditionnels mais plutôt offrir une offre complémentaire, avec un nouveau point de vue. En effet les médias traditionnels ont du mal à laisser la place aux jeunes, il y a parfois un conflit générationnel. Les opinions des jeunes générations sont sous-représentées ou pas suffisamment relayées dans les médias traditionnels. C’est pour cela que nous complétons les médias classiques : nous offrons la possibilité aux jeunes de s’exprimer et de mettre en avant leur point de vue. Je pense que d’ailleurs les médias TV classiques ont perçu notre pouvoir d’attraction et souhaitent de plus en plus s’associer avec nous afin de toucher un nouveau public plus jeune.

C.C: Quels sont les avantages et les inconvénients de ce mode médiatique ? 

A.T : Le premier inconvénient vient de la connexion internet en elle-même. À cause des récentes manifestations en RDC le gouvernement a coupé l’internet pendant plusieurs jours. Ainsi nos équipes ne pouvaient plus communiquer avec leurs collègues et le public. Le second inconvénient est que nous évoluons dans une zone grise : sommes-nous un média à proprement parler ? Sommes-nous donc soumis aux règles des médias traditionnels ? Notre situation est ambivalente mais se révèle parfois comme un atout ! Un autre inconvénient est que l’encadrement par le gouvernement des réseaux sociaux est de plus en plus strict afin de limiter la liberté d’expression. De plus nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux et sommes donc dépendants des nouvelles réglementations de Facebook qui peuvent porter préjudice à notre contenu et à notre accessibilité. Nous devons donc quotidiennement nous adapter aux nouvelles règles imposées par les gouvernements et les gérants des réseaux sociaux.

À l’inverse la forme du blogging nous apporte de nombreux avantages. Tout d’abord cela permet aux jeunes de s’exprimer en leur nom propre et au nom d’une communauté, tout en étant soutenu par la plateforme. C’est une sorte de protection pour eux. Un second avantage provient de l’utilisation des réseaux sociaux. Avec Twitter par exemple nous pouvons interpeller les politiques (en “taguant” certaines autorités), suivre leurs actions, leur demander des comptes et échanger directement avec eux. Cela nous permet d’impacter directement les politiques mises en place.

C.C: Le 19 mars dernier vos équipes Habari RDC et Yaga Burundi ont écrit dans Libération une tribune dans lequel elles demandaient au Président Macron de « libérez la francophonie » et de laisser les africains s’approprier la langue française. Qu’en pensez-vous ? Quelle est la place de la francophonie en Afrique ? 

A.T : Il faut différencier la francophonie qui est l’ensemble des francophones de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) qui est l’institution qui promeut à l’international la langue française.

En Afrique francophone le français est très important. C’est tout d’abord la langue de l’administration et parfois de l’élite au sens large. Mais c’est également parfois la langue commune qui permet à tous les Congolais de communiquer, alors que leur langue maternelle est le lingala pour les Kinois ou le Swahili pour les Katangais, c’est donc le canal qui permet aux Congolais de communiquer entre eux. Au-delà de la RDC en tant que langue internationale, le français permet aussi aux Africains de communiquer vers l’Europe par exemple, de se faire entendre par-delà les frontières. Concernant l’OIF, elle apporte de formidables opportunités car elle soutient de nombreux projets de formations notamment pour les jeunes artistes ou des media tels que Habari à travers le projet Naila. Mais il est certain qu’elle est également critiquée car elle est souvent associée à tort ou à raison trop proche de la politique extérieure française. C’est réellement dommage. On gagnerait certainement à décentraliser la francophonie. Son siège ne pourrait-il être transféré à Kinshasa, capitale de la RDC qui constituera le plus grand pays francophone en 2050 ? En particulier quand on sait que le nombre de francophones en Afrique va exploser dans les prochaines décennies. À mon avis cela va être incroyable la façon dont les francophones du continent africain vont de façon croissante enrichir la langue française.

C.C. : Quels sont vos rapports avec la communauté française aux Pays-Bas ? 

A.T : Notre équipe Yaga Burundi a participé le 14 mars dernier à la 10ème édition du Prix du Jeune lecteur néerlandais (2018) à Gouda, organisé par l’Institut français des Pays-Bas et la section de français de Levende Talen. L’Ambassade de France aux Pays-Bas en a rendu compte sur son site internet.  Le Burundi était à l’honneur à travers le ‘’Petit pays’’, le roman de Gaël Faye. La blogueuse Burundaise Gratia Ancilla Ndikumana était présente, invitée par l’Institut Français des Pays-Bas. Elle rend compte de l’évènement dans le blog Aux Pays-Bas, notre « Petit pays » inspire les jeunes. Yaga Burundi a réalisé une vidéo où l’on retourne sur certains lieux évoqués par Gaël Faye dans « Petit Pays ». L’année dernière j’ai aussi eu le plaisir d’être invité par l’IFPB pour présenter les blogueurs de Yaga à La Haye.

C.C: Pour conclure cet entretien nous souhaiterions savoir comment vous envisagez le futur pour RNW Media.  

A.T : En tant qu’ONG nous avons un accord avec le gouvernement néerlandais pour qu’il continue à nous financer jusqu’en 2020. Nous souhaitons poursuivre et renforcer nos actions dans les 14 pays suivants : RDC, Burundi, Mali, Rwanda, Libye, Syrie, Égypte, Yémen, Chine, Nigéria, Ouganda, Kenya, Mexique et Inde. Notre stratégie après 2020 est de trouver de nouveaux financements et de lier des alliances avec d’autres ONG. Enfin nous souhaiterions aider nos équipes locales à être indépendantes.

Monsieur Trocmé, merci encore d’avoir répondu à toutes nos questions. Nous sommes très heureux de faire part de votre travail à la communauté française des Pays-Bas. À bientôt !

Liens : 

Équipe Habari RDC 

https://habarirdc.net

Equipe Yaga Burundi

https://www.yaga-burundi.com/

RNW Media 

https://www.rnw.org  

Organisation Internationale de la Francophonie : Lauréats 3ème prix francophone Innovation Médias

https://www.francophonie.org/CP-laureats-3e-prix-francophone-innovation-medias-48701.html 

Tribune Libération Habari / Yaga « Monsieur Macron libérez la francophonie du Quai D’Orsay »

http://www.liberation.fr/debats/2018/03/19/monsieur-macron-liberez-la-francophonie-du-quai-d-orsay_1637332 

Ambassade de France aux Pays-Bas : Prix du Jeune lecteur néerlandais 2018

https://nl.ambafrance.org/Prix-du-Jeune-lecteur-neerlandais-edition-2018-retour-sur-evenement 

Gratia Ancilla Ndikumana (Yaga Burundi) Aux Pays-Bas, notre « Petit pays » inspire les jeunes
27 mars 2018

https://www.yaga-burundi.com/2018/03/27/pays-bas-petit-pays-inspire-jeunes/

 

Yaga Burundi, « Petit Pays » : un roman qui réconcilie les Burundais et la lecture

 

 

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